Learning from Chicago, Montréal, Paris

Ignis Mutat Res

Contexte

À l’aube de la deuxième décennie du XXIe siècle, force est de constater la montée en puissance des thématiques concernant les modes de vie et l’équilibre environnemental, que ce soit dans les discours comme dans la pratique d’une majorité d’acteurs. Par ailleurs, les institutions en charge de formation et de recherche ont également opéré en peu de temps un virage significatif vers l’étude de nouvelles hypothèses de travail au travers de notions apparemment simples d’écologie et de développement durable. Cela concerne aussi bien les sciences de la vie que les sciences expérimentales et exactes ou les sciences humaines et sociales. Parties prenantes de cette « ébullition », les disciplines liées à l’aménagement de l’espace — architecture, paysage, urbanisme et construction — voient leurs frontières et leurs méthodes évoluer de manière conséquente, tout en poursuivant les objectifs de conception et de construction d’un environnement artificiel. Le fond de la problématique qui s’esquisse dorénavant dans les laboratoires, les ateliers et les lieux de formation s’attache à la gestion des ressources qui se raréfient au même rythme que l’empreinte écologique humaine s’étend. Eau douce, terre, énergie, matières premières ne sont plus seulement des données quantitatives à gérer lors de la construction, mais composent des systèmes de valeurs complexes, des indicateurs du bien-être et de la vie.

Mettant précisément l’accent sur l’équité sociale de ces valeurs, lors de son discours de réception du doctorat honoris causa que lui décernait l’Université Laval (Canada), le biologiste espagnol Ramon Margalef (1919-2004) notait déjà en 1987 : « il est juste qu’on se préoccupe des pluies acides ou des diverses pollutions, mais […] l’enjeu de notre futur concerne davantage d’autres aspects de l’écologie, parmi lesquels la mobilisation et le contrôle par l’homme de fractions croissantes d’énergie qui ont des influences sur l’organisation de l’espace et, ce qui est plus préoccupant, sur l’organisation des rapports entre les êtres humains ». Si trois points – organisation spatiale, enjeux sociaux et coordination énergétique — semblent ici baliser le chemin qui mène de l’écologie aux disciplines de l’espace, la focalisation sur la problématique énergétique paraît capitale et singulièrement novatrice eu égard à la tradition disciplinaire de l’architecture, de l’urbanisme, du paysagisme. En effet, l’importance accordée par l’ensemble du monde scientifique à l’énergie exosomatique, celle qui permet le maintien de la vie et l’organisation d’écosystèmes s’avère finalement plus proche aux enjeux du cadre de vie des citoyens. Car il s’agit surtout de l’énergie qui ne coule ni se déplace dans les canaux du métabolisme somatique, mais qui est utilisée pour le chauffage, les transports, la préparation de la nourriture, le conditionnement de l’air, le bâtiment et sa maintenance, ainsi que la diffusion de l’information.

Une telle définition ample et globale du lien critique entre environnement et énergie renforce une tendance qui appelle à revisiter notre activité de conception et de construction d’espaces de vie par la « culture de l’énergie » et son corollaire « culture de l’entropie », loin des préoccupations productivistes et mécanistes des temps modernes. D’autant que cette approche méthodologique nouvelle, en accord avec les principes du protocole de Kyoto, vient corroborer les incitations du Club de Rome et du Rapport Stern. Tous s’accordent sur une politique de réduction drastique de consommation d’énergie par la « dématérialisation » des procédures productives, le renforcement des politiques sociales et, finalement, le changement des modes de vie.

Aussi, c’est précisément sur ce dernier point – le changement des modes de vie – que les disciplines de la transformation de l’espace renouvellent leur vocation à répondre aux attentes citoyennes par la constitution d’un corpus solide de savoirs et de savoir-faire. Or, jusqu’à aujourd’hui cet apport avait comme unique objectif la réalisation d’économies d’énergies substantielles, par l’application de techniques de construction de plus en plus nombreuses et exigeantes. Néanmoins, en dépit des avancées considérables de la technologie visant à l’économie d’énergie, force est de constater que les performances énergétiques des villes sont bien en deçà des attentes. Pis, la Banque mondiale maintient ses indicateurs de qualité de vie, parmi lesquels celui de la consommation d’énergie. À cet égard, les cartes nocturnes du globe rappellent que la consommation énergétique reste révélatrice d’une qualité de vie qui – ce n’est pas par hasard… – coïncide avec les aires urbaines. Ainsi, c’est bien à l’échelle urbaine que la problématique énergétique atteint son niveau critique maximal, alors que 75% de l’impact sur l’environnement est le produit des modes de vie urbains qui réunissent plus de 50% de la population humaine. Ce pourcentage pourrait monter jusqu’à 80% en 2050!

Le paradoxe se révèle : si la qualité de notre quotidien, dorénavant majoritairement urbain, est indexée sur la quantité d’énergie consommée, alors tout effort dans la direction d’un changement substantiel des modes de vie devient quasi impossible. Plus encore, si la civilisation urbaine ne réussit pas sa transformation au travers d’un sens renouvelé de la problématique énergétique concernant les modes d’habiter, de se mouvoir, de produire et de consommer, tout autre scénario semble bien faible au regard des enjeux de notre siècle. Somme toute, l’équation « énergie = économie » s’avère un peu trop simpliste, voire insoluble si l’on tente de l’aborder loin des dimensions culturelles des ressources.

Objectifs

Le programme interdisciplinaire de recherche Ignis mutat res invite la communauté scientifique à jeter une lumière nouvelle sur les relations complexes que pose le concept d’énergie tant à la production de l’espace habité qu’aux pratiques de celui-ci. ce programme vise à créer les conditions épistémologiques propices à l’approfondissement des relations complexes, oubliées et retrouvées, inventées et réinventées des modes de vie dans l’espace avec leur pendant énergétique, dans une problématique environnementale globale, selon ces quelques lignes directrices esquissées, sans aucune exclusive et de manière intentionnellement trans-scalaire, par les questions suivantes :

a. Est-il possible de penser l’espace construit au travers de ses qualités énergétiques (production, consommation, dissipation, échange…)?

b. Comment élaborer une culture selon laquelle toute entité dessinée et/ou construite communique sa valeur énergétique?

c. Quelles seraient les qualités du cadre de vie citoyen pensé à travers la notion de l’énergie?

d. Y aurait-il une esthétique de l’énergie, susceptible d’accompagner la transformation du cadre de vie matériel?

e. Que pouvons-nous faire pour comprendre, évaluer et produire de l’espace énergétiquement « conscient »?

Penser l’architecture, la ville et les paysages au prisme de l’énergie reviendrait ainsi à interroger tous les environnements (passés, présents et futurs) avec des outils nouveaux, des vocabulaires transformés, des méthodes innovantes et peut-être encore balbutiantes. Mais nombreux sont ceux qui considèrent ce prisme comme représentatif du futur des nos créations et de nos intentions. Si les siècles qui nous précèdent permirent la transcendance des matériaux et l’apologie des matériaux nouveaux, le XXIe siècle pourrait se lire en termes d’énergie.

(Source: Ignis Mutat Res (2011-2013), Ministère de la Culture et de la Communication et Atelier International du Grand Paris, pp. 6-8)

Context

Through the first years of the 21st century there has been a sweeping rise in concern for issues touching on the relation between lifestyle and environmental balance. An abrupt reorientation has begun in both the discourses and the practices of stakeholders; a reconsideration of the modes of action they promote, reflecting more or less profound conceptions of such notions as ecology and sustainable development. This change is broadly visible in the life- and the experimental- sciences, or from the “exact” to the human and social sciences. the professional disciplines linked to the planning and design of space – notably architecture, landscape architecture and urban and regional planning – have of course participated in this change of perspective. Both their borders and their methods have evolved as they have pursued objectives relating to the design and construction of the manmade environment. The problems of resource management in a time of ever-growing scarcity, and the ever-growing ecological footprint of human life, are being (re-)defined within the context of laboratories, design groups, and educational programs. Those who build no longer consider drinking water, earth, energy and other raw materials and resources simply as “givens” or as quantities to be managed, but also as referring to complex systems of value and as indicators of life and well-being.

Emphasizing the question of social equity with respect to these resources, as well as on their intrinsic value, in his acceptance speech upon being awarded an honorary doctorate from Laval University (Canada), the Spanish biologist Ramon Margalef (1919-2004) noted that “it is important that we should be concerned with forms of pollution such as acid rain but […] there are even greater ecological issues for our future, among them growing inequalities in the use and distribution of energies as they translate into forms of spatial organization and, more importantly still, into the organization of relations between human beings.” While three points – spatial organization, social conditions and the coordination of energy – would thus appear to be fundamental in moving from ecology to the disciplines concerned with the design of space, it is the third one that must be considered the most important. In ecological thinking, emphasis is generally placed on exosomatic energy, the focus thus being on that which allows for the maintenance of life and the organization of ecosystems. This includes energies other that those involved in bodily metabolism, namely those used in heating, transportation, the preparation of food, air conditioning, construction and building maintenance, and in the circulation of information.

This ample, critical connection of environment to energy can be taken as a compelling argument to reconsider human habitat in terms of a “culture of energy” and its corollary, that of a “culture of entropy”, far from the productivist and mechanistic conceptions of modern times. This new methodology takes on added legitimacy in light of its convergence with the principles of the Kyoto Protocol and the injunctions of the Club of Rome and the Stern Report. All argue in favor of a policy of drastic reduction of energy consumption through the “dematerialization” of processes of production, the reinforcement of relevant social policies and, not least of all, lifestyle change.

It is precisely on this last point – lifestyle change – that the spatial design disciplines ought to renew their engagement in order to respond to the requirements of civil society, regenerating both the body of knowledge upon which these disciplines repose and their modes of practice and action. Up until now, they have concentrated solely on achieving significant reductions in energy consumption through the development of techniques ever more numerous and more complex. Yet despite considerable technological progress of this kind, the size of the reductions achieved in energy consumption levels is far from meeting expectations. More surprising still is the World Bank’s use of energy consumption level as an indicator of quality of life. In fact, nocturnal maps of the earth remind us that energy consumption levels are indicators of higher living standards, which – not accidentally – correspond to urbanized areas. The most acute energy consumption problems are indeed posed by urban areas, those in which 75 percent of environmental impact is produced by just over 50 percent of world’s population. And this percentage could grow to 80 percent by 2050!

The situation is deeply paradoxical. Since our quality of everyday life, henceforth in urban areas, is directly proportional to the quantity of energy we consume, substantial lifestyle change would appear virtually impossible. At the same time, if urban civilization does not succeed in transforming itself through a renewed relation to energy as it affects habitat, transport, production and consumption, no other scenario will be powerful enough to respond to the urgent needs of this century. Put plainly, in light of the multiple cultural dimensions of the resources issue, the equation of energy with economy appears simplistic and schematic.

Objectives

The interdisciplinary research program “Ignis mutat res. Looking at Architecture, the City and the Landscape Through the Prism of Energy” is an invitation to confront the pitfalls of current conceptions of energy and the manner in which these all too frequently influence the design and, more generally, the making of space. The program seeks to contribute to the definition of epistemological conditions that would allow for a better understanding of the complex relations, forgotten or rediscovered, invented or reinvented, inherent in our ways of living in space, as these relate to energy. This global problem, briefly outlined above, can be approached here from any possible perspective capable of invoking a variety of spatial scales, in response to the following questions:

a. How might it be possible to think about constructed space through sets of parameters related to energy (concerning for example production, consumption, dissipation, exchange…)?

b. How might it be possible to imagine a cultural framework in which each designed and constructed entity “expresses” its energy value?

c. How might the qualities of the spaces of civil society be rethought through ideas relative to energy?

d. Might there exist an “esthetics of energy” that could inform processes of transformation in the materiality of inhabited space?

e. What might one do to understand, evaluate and produce energy-conscious space?

Thinking about architecture, the city and the landscape through the prism of energy requires that one pose questions concerning all manner of environments past, present and future, employing new tools, a transformed vocabulary, and innovative – perhaps somewhat delicate or fragile – methods. This inquiry is considered by many as essential to reflection on possible future intentions and creative acts. If previous centuries sought the transcendence of matter and explored the potentials of new materials, this 21st century could be the one whose intelligibility resides in its relations to energy.

(Source: Ignis Mutat Res (2011-2013), Ministère de la Culture et de la Communication et Atelier International du Grand Paris, pp. 6-8)