par SAMUEL FLEURY, L’Expansion, 26 février 2013
Cet article a remporté le 7eme prix du concours “Génération Energies”, décerné par L’Expansion, SIA-Partners et RTE.
Samuel Fleury, 25 ans, est étudiant à Supélec.
L’utilisation du processus d’électrolyse, avec des électrodes révolutionnaires au cobalt, et le développement de la filière hydrogène: il y a sans doute là de quoi bouleverser le paysage des ENR.
Les pertes en ligne sur le réseau électrique français représentent l’équivalent de la consommation annuelle de Paris (1). La réduction de ces dernières, combinée au développement des énergies renouvelables (ENR), constitue donc un défi majeur. La réponse à cette double exigence pourrait se traduire par l’émergence de la production individuelle éolienne ou solaire afin d’aboutir à un micro-grid. Nous ne sommes alors plus des clients passifs mais devenons des acteurs de notre consommation. Toutefois, ce scenario énergétique crée un stress sur l’équilibrage production / consommation.
La majorité des énergies renouvelables repose sur le captage d’un flux variable dans le temps tel que le rayonnement solaire. À la faible élasticité de la demande d’électricité, on ajoute donc l’intermittence de la production. Ainsi, l’intégration des énergies vertes nécessite de prévoir des capacités de stockage qui réintroduisent de la souplesse et de la flexibilité. On peut alors se demander quelles technologies mettre en œuvre pour assurer ce stockage destiné aux particuliers. Prenons l’exemple de Millener (2), projet de smart-grid dans les îles françaises, qui couple systématiquement chez les particuliers des panneaux photovoltaïques à des batteries lithium-ion. Cette expérimentation montre que les technologies utilisées actuellement pour le stockage restent chères et à durée de vie limitée.
Un matériau révolutionnaire
Une nouvelle technologie de stockage basée sur la photosynthèse biologique pourrait bien changer la donne. Les plantes produisent naturellement de l’énergie chimique, à partir du rayonnement lumineux et du dioxyde de carbone. Ce processus, utilisé pour la croissance végétale, peut être reproduit artificiellement, en réalisant l’électrolyse de l’eau en présence de catalyseurs. L’hydrogène se révèle alors être un excellent moyen de stockage avec une énergie spécifique de 150 MJ/kg quand le système Li-ion plafonne à 1 MJ/kg. Sa production à partir d’ENR permet donc de disposer d’hydrogène « vert ».
Mais jusque là, l’électrolyse nécessitait des électrodes de platine, métal rare et cher (38 000€/kg ). Faisant écho aux recherches du Dr. Nocera du MIT, un nouveau matériau bio-inspiré vient d’être mis au point par des chercheurs du CEA, et de l’UJF, à Grenoble et à Saclay, en novembre 2012. Ce «janus» chimique est constitué de cobalt. La matière première est actuellement produite dans de nombreux pays comme la Finlande ou le Canada et, est valorisée à un prix mille fois inférieur (3) au platine. La réaction présente un rendement élevé de 70%. Elle peut se réaliser en milieu neutre, à température ambiante et à pression atmosphérique, ce qui était jusqu’alors impossible. Ce procédé est d’autant plus profitable pour un usage domestique car il permet de se dispenser de convertisseurs électriques.
Une fois produit, l’hydrogène, vecteur d’énergie, pourra être stocké à l’état solide, dans des hydrures de magnésium. Ces véritables pièges à hydrogène s’avèrent peu chers et présentent un encombrement réduit. Ainsi, un réservoir de 5 L à 50 € suffirait à alimenter une famille de 4 personnes (4). L’opération a un rendement énergétique élevé de 97% qui peut encore être amélioré en récupérant la chaleur de cette réaction exothermique. Il pourra, par ailleurs, être accepté plus facilement que le stockage haute pression du fait de sa sûreté de fonctionnement. Cette technologie à cinétique rapide, déjà commercialisée pour les industriels, convient particulièrement à un usage individuel.
On pourra ensuite utiliser, de deux manières différentes, l’hydrogène déstocké. D’une part, redonner de l’électricité via une pile à combustible avec un rende-ment de 40%. D’autre part, utiliser directement l’hydrogène pour alimenter une chaudière domestique. Le projet GRHYD lancé en novembre 2012 par GDF Suez, a d’ailleurs pour but de valoriser l’hydrogène en le mélangeant, jusqu’à 20% en volume, à du gaz naturel afin de chauffer un nouveau quartier d’environ 200 logements. Le cycle hydrogène présente donc une empreinte carbone globalement réduite.
Obstacles et perspectives
Le projet MYRTHE (5) en Corse a démontré la pertinence du stockage sous forme hydrogène. La mise à disposition de cette technologie pour l’ensemble des particuliers pourrait se faire d’ici dix ans avec un chiffre d’affaires estimé de 40 milliards d’euros (6). En effet, le nouveau matériau à base de cobalt rend économique-ment compétitif l’hydrogène. Ce point était, pour le CEA, le dernier obstacle à l’expansion de cette technologie.
Toutefois, cette découverte, qui pourrait bouleverser le déploiement des ENR, reste à l’état de promesse. De nombreuses pistes restent à explorer : amélioration du rendement de l’électrolyse, industrialisation à grande échelle d’électrodes en cobalt. En parallèle, il est essentiel d’assurer un environnement économique et réglementaire favorable à l’essor de cette technologie. Plusieurs outils de soutien peuvent être imaginés: appels d’offres, aides à l’acquisition. Une solution innovante serait de transposer la notion de certificat vert et de l’appliquer aux particuliers. Ils auraient l’obligation de consommer une part minimum d’énergie verte. Un marché local pourrait alors être mis en place afin d’échanger des certificats. Cela inciterait à des investissements pertinents dans les ENR et à un développement induit du stockage sous forme hydrogène qui optimise cette production verte. Il faut cependant que ce mécanisme évite les rentes et les inégalités entre territoires en les mettant, par exemple, sous la gestion des communes.
Le stockage hydrogène et le cycle qu’il induit se révèlent donc être une formidable solution au développement d’un réseau local d’énergie où chacun prend conscience de son rôle de « consom’acteur ».
Le déploiement des nouvelles technologies de l’information pourrait, à terme, rendre ludique et interactif le pilotage de ces systèmes énergétiques entre habitants d’un même quartier.
NOTES
1 – RTE estime perdre 13 TWh chaque année du fait des pertes en ligne, soit 2,5% de la production total d’électricité.
2 – Millener est un projet porté par EDF dans le but d’assurer une meilleure gestion énergétique dans les milieux insulaires (Mise en place en Corse et à La Réunion fin 2011, puis en Guadeloupe début 2012). Cette expérimentation vise à optimiser l’utilisation des énergies renouvelables grâce aux réseaux électriques intelligents.
3 – Cours au 3 février 2013 (Platine : 37790€/Kg, Cobalt : 26,46€/Kg).
4 – Hypothèses de calculs : On dimensionne la batterie afin qu’elle puisse stocker la consommation journalière, qu’on es-time à 20 kWh par jour et par famille (4 personnes) en moyenne. De plus, 1 kg d’hydrogène (33 kWh) peut être piégé dans 13 kg d’hydrures de magnésium.
5 – Projet mené par le CEA en Corse. Il s’agit de stocker l’énergie issue de 3700 m2 de panneaux solaires (puissance installée de 560 kW), via un électrolyseur, sous forme d’hydrogène. Le but est de pouvoir ensuite restituer cette énergie via une pile à combustible de 100 kW, chargée de reconvertir l’hydrogène en électricité au moment voulu.
6 – Estimation de l’ADEME au lancement du projet GRHYD (novembre 2012).
SOURCES
* RTE (2012) – Bilan électrique 2011.
* EON Innovation Center Energy Storage (2012) – Converting surplus energy to hydrogen.
* CNRS (octobre 2012) – Réservoirs à hydrogène : une innovation solide.
* CEA (mai 2012) – Les technologies de l’hydrogène au CEA.
* Les Techniques de l’ingénieur (novembre 2012) – Le cobalt, meilleur matériau que le platine dans la production d’hydrogène.
* L’Usine Nouvelle (février 2009) – Stocker de l’hydrogène sans créer de bombes.
* MIT Technology Review (juillet 2008) – Solar-Power Breakthrough.
* Enea Consulting (Mai 2011) – Application des systèmes hydrogènes pour les besoins du développement à horizon 2020 – 2025.
* Institut Montaigne (Novembre 2012) – Faire de la transition énergétique un levier de compétitivité.
* GDF SUEZ (Novembre 2012) – Une nouvelle filière énergétique hydrogène et gaz naturel : L’Etat accompagne le projet de démonstration GRHYD.