par AUDREY GARRIC, lemonde.fr, 9 avril 2013
A 30 m au-dessus du sol, des milliers de campanules, digitales ou euphorbes sortent timidement de terre, bravant le froid vigoureux de ce printemps. La plus grande toiture végétalisée de Paris – 7 000 m2, soit l’équivalent d’un stade de football – a été inaugurée, jeudi 4 avril, au sommet du centre commercial Beaugrenelle (15e arrondissement), en cours de rénovation. Ces jardins suspendus doivent concilier havre de biodiversité et régulation climatique, un objectif alléchant mais loin d’être évident.
Dans ce “pré haut” surplombé de tours d’habitation, des graminées et des plantes à bulbes prennent racine sur 40 cm de terre, arrosées à partir d’eau de pluie. Un espace de 800 m² doit être réservé à un “jardin partagé” ; le reste du site sera interdit au public. “On va avoir une multitude d’insectes et, on l’espère, des mésanges, des rouges-queues ou des pinsons qui pourront s’y alimenter, se reposer et se reproduire”, escompte Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue de protection des oiseaux, association partenaire du projet. Pour attirer les volatiles, des nichoirs seront bientôt installés à côté d’une dizaine de ruches.
Le coût du chantier Beaugrenelle est évalué à 450 millions d’euros par Gecina, le propriétaire du centre commercial, qui ne précise pas celui de la toiture. “Il n’est plus possible aujourd’hui de concevoir la ville sans également concevoir la place de la nature”, affirme Anne Hidalgo, première adjointe (PS) du maire de Paris.
Capacité à retenir l’eau de pluie et réduction du bruit
Alors que les villes poursuivent leur expansion, la réintroduction du végétal s’est muée en utopie urbaine. Le verdissement des toits s’accélère : un million de mètres carrés de nouvelles toitures végétalisées a été construit en France en 2012, autant aux Etats-Unis et dix fois plus en Allemagne, pionnière dans le domaine. A Paris, 22 hectares de toits – sur un potentiel de 80 ha – sont végétalisés.
Les défenseurs de cette “canopée urbaine” égrènent sans cesse ses atouts, tant pour le bâtiment que pour la ville. “Pourtant, les études ne sont pas toujours fiables ou adaptées”, prévient Maeva Sabre, ingénieur chef de projet au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).
Parmi les gains avérés : la capacité à retenir l’eau de pluie – jusqu’à 90 % avec un substrat d’au moins 12 cm –, ce qui évite l’engorgement des réseaux d’évacuation, une réduction du bruit (de 15 à 20 décibels) et le doublement, en moyenne, de la durée de vie de l’étanchéité des toitures.
Concernant l’isolation thermique, l’impact s’avère limité
Les résultats sont moins évidents lorsqu’il s’agit de lutter contre le surcroît de chaleur provoqué par l’urbanisation. L’étude de référence sur ces “îlots de chaleur urbaine”, menée à Toronto (Canada) en 2001, concluait que la végétalisation de 6 % des toits pourrait faire baisser la température de 1 °C à 2 °C dans la ville. “Un tel rafraîchissement est loin d’être assuré en France : les modes de construction diffèrent, de même que le climat”, tempère Mme Sabre. Deux études françaises sont en cours.
Même interrogation du côté de la qualité de l’air : si une étude américaine de 2005 estime que 800 tonnes de dioxyde d’azote pourraient être piégées chaque année si 20 % des toits de Detroit (Michigan) étaient recouverts de sedum – une petite plante grasse, omniprésente sur les toits verts –, aucune recherche équivalente n’a été menée dans l’Hexagone.
Quant à l’isolation thermique, l’impact s’avère en réalité limité. “L’hiver, l’effet du toit végétalisé est nul, tandis que l’été on peut atteindre jusqu’à 10 % de baisse de la consommation énergétique à condition que le substrat reste humide, ce qui se révèle difficile en cas de fortes chaleurs”, poursuit Maeva Sabre.
Des prix rédhibitoires pour les petites toitures
Résultat : les toits verts ne parviennent pas à séduire les particuliers. “L’effet sur la facture énergétique est faible et concerne surtout les habitants des derniers étages, de sorte que les copropriétés ont du mal à se lancer dans les travaux”, regrette Fabienne Giboudeaux, adjointe (EELV) au maire de Paris en charge des espaces verts.
D’autant que les prix peuvent s’avérer rédhibitoires pour les petites toitures : il faut ainsi compter entre 120 euros et 150 euros le mètre carré pour un toit d’une quinzaine de mètres carrés, contre 50 euros pour des surfaces plus grandes. Et, dans tous les cas, un entretien est nécessaire, à raison de 5 euros à 10 euros par mètre carré et par an.
Ce dernier aspect, longtemps négligé, a conduit à fragiliser une partie des toits verts construits au milieu des années 2000. Sans compter qu’à l’époque, les entreprises installaient des tapis de sedum précultivés, économiques et faciles à poser. Peu épais, ces substrats se sont détériorés et desséchés.
“Depuis peu, nous favorisons une végétalisation plus chère mais plus qualitative et esthétique. La palette végétale est plus large, ce qui accroît la biodiversité”, explique François Lassalle, président de l’Association des toitures végétales (Adivet). “Pour aller plus loin, il faudrait plus d’incitation des pouvoirs publics”, ajoute-t-il.
En Ile-de-France, la région subventionne les toitures végétalisées à hauteur de 20 euros par mètre carré. Paris vient en outre de lancer un appel à projets consacré à la végétalisation innovante.