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Energie positive, du bâtiment au territoire, l’utopie réalisable ?

Interview avec Franck Boutté

Propos recueillis par EMMANUELLE BORNE, lecourrierdelarchitecte.com, 23 mars 2011

Image: Frank Boutté Consultants Source: www.lecourrierdelarchitecte.com

Image: Frank Boutté Consultants
Source: www.lecourrierdelarchitecte.com

Au-delà du BBC, le BEPOS. Au-delà du BEPOS, le ‘TEGPOS’. Le concept, inventé par Franck Boutté, ingénieur spécialiste de la question environnementale*, «repose sur l’idée d’un nouveau contrat social, fondé sur le partage des ressources». Une utopie ? A Bordeaux, la «philosophie» semble promise à réalisation. Une révolution donc. Explications.

Pour s’y retrouver :

  • BBC : Bâtiments Basse Consommation
  • BEPOS : Bâtiments à Energie positive
  • TEGPOS : Territoire à Energie Globale Positive

Le Courrier de l’Architecte : Vous reprochez à la RT 2012, c’est-à-dire aux BBC, ainsi qu’aux BEPOS d’être trop focalisés sur l’échelle du bâtiment, au détriment du réseau, de la ville. Comment votre TEGPOS remédie-t-il à cette limitation ?

Franck Boutté : Le BEPOS tend à créer un modèle architectural autarcique. Parce qu’il a besoin des ressources de son environnement, il oblige à une mise à distance vis-à-vis des autres bâtiments ; il est donc très difficilement compatible avec la ville existante tout en figeant l’évolution urbaine. Un BEPOS, installé aujourd’hui dans une situation urbaine ‘bien née’, avec accès au soleil, au vent, à la lumière et au sol, ne pourra rester ‘positif’ que s’il demeure isolé, seul dans sa bulle de ressources. Sinon, le BEPOS peut rapidement devenir BENEG, Bâtiment à énergie négative, ce qui est contre-environnemental.

La formule ‘du BEPOS au TEGPOS’ implique un changement d’échelle, du bâtiment au territoire. Avec ce changement d’échelle, les valeurs absolues deviennent relatives. Autrement dit, la juste valeur de la performance n’est pas une quantité, par exemple 50kWh/m²/an, mais la valeur au-delà de laquelle l’effort supplémentaire fourni – plus d’isolant par exemple – n’est pas justifié car le gain en économie d’énergie est minime.

Attention, cela n’équivaut pas à une philosophie du moindre effort. Un triple vitrage sera toujours plus efficace qu’un double vitrage. Mais il faut savoir arrêter dès lors que les gains en kWh sont très faibles au regard de l’effort demandé.

Quels seraient les résultats de ce changement de paradigme ?

Si l’on transforme la formule du TEGPOS en philosophie globale, tout change.

L’évaluation de la performance, un aspect auquel personne ne s’attache aujourd’hui, devient par exemple primordiale. C’est par l’évaluation en effet que l’on peut s’apercevoir et mesurer que le gain constaté est finalement peu important en regard de l’effort consenti. Qui plus est, l’évaluation implique de partager tant les données que les objectifs ; elle mène ainsi à une forme de solidarité ‘performancielle’.

A l’inverse, les labels ne sont partagés par personne. Pour un aménageur, ils ne sont finalement que des passe-droits pour accéder au foncier puisqu’ils ne sont ni soumis à évaluation a posteriori ni encore moins au partage.

Avec le TEGPOS, la question fondamentale devient : que peut-on partager ? Une question qui entraîne la suivante : à qui profite cette valeur ? L’idée est d’en faire profiter le maximum de gens. Travailler la durabilité d’un territoire c’est créer de la richesse. Un territoire devient TEGPOS lorsqu’il produit plus d’énergie qu’il n’en consomme, toutes énergies confondues.

Avec le TEGPOS, tout est affaire de compensation, de mutualisation. Le partage des ressources devient la base d’un nouveau contrat social.

Par exemple ?

Par exemple, prenons un bâtiment BBC à 50kWh/m²/an. Imaginons que, pour ce projet, la juste valeur soit 75kWh/m²/an. Impose-t-on d’atteindre les 50kWh/m²/an pour satisfaire le Plan Climat, produisant des aberrations comme l’installation de panneaux photovoltaïques à l’ombre ? Ou choisissons-nous de ne pas fournir cet effort supplémentaire qui ne se justifie pas en terme de gains ? Ces mêmes panneaux photovoltaïques peuvent être installés sur les toits ensoleillés du bâtiment adjacent où le rapport effort/gain se justifie.

Autre option : faisons l’effort d’atteindre les 50kWh/m²/an mais, alors, gagnons les kWh là où le gain est maximal. Le différentiel de 25kWh/m²/an ne sera pas gagné sur ce projet mais, pourquoi pas, intégré à un fond destiné à mettre en oeuvre de meilleures actions en matière d’économie d’énergie ou plus largement de développement durable. Qu’ils soient transformés en énergie blanche ou en euros, ces kWh/efforts économisés peuvent par exemple servir à créer de nouveaux espaces verts.

Il est possible de trouver des compensations entre énergies identiques mais aussi entre différentes formes d’énergie (blanche, grise, cinétique, sociale, culturelle, etc.) afin de chercher ce qui produit le plus de sens et de parvenir à un meilleur équilibre.

Le TEGPOS n’est-il pas utopique ? Par ailleurs, se substitue-t-il aux labels ?

Le TEGPOS synthétise une philosophie que nous développons depuis quelque temps déjà. Cette simplification à l’extrême sous forme de formule – ‘du BEPOS au TEGPOS’ – permet de se faire entendre. La formule comprend une part de suspens ; le B (bâtiment) tombe pour être remplacé par un T (territoire), le E d’énergie, sur lequel tout le monde s’arrache les cheveux, devient multiple et global (G).

En fait, c’est à la fois une formule réactive et un cri de guerre. Avec cette philosophie ‘à coup de marteau’, nous entendons sinon détruire, au moins interroger les nouvelles idoles – en l’occurrence le BEPOS – pour reconstruire de nouvelles bases, une nouvelle manière de penser la performance énergétique.

Cette philosophie est devenue démarche expérimentale dans le cadre de l’élaboration de la charte de développement durable du territoire de Bordeaux-Euratlantique sur laquelle nous travaillons en tant qu’Assistant à Maîtrise d’Ouvrage développement durable auprès de l’Etablissement Public d’Aménagement. Nous allons tenter de la développer et de l’appliquer sur le premier projet urbain, à Saint-Jean Belcier. La démarche sera présentée aux partenaires de l’EPA dès avril 2001, ainsi qu’à Bernard Reichen et son équipe, urbaniste de ce secteur. L’objectif étant que la charte, négociée avec l’ensemble des acteurs, soit présentée au conseil d’administration de l’EPA en décembre 2011.

Il faudra ensuite travailler sur les documents opérationnels, c’est-à-dire décliner cette philosophie à l’échelle des lots, trouver les bonnes valeurs de référence et de conversion, par exemple le kwhG (kilo watt heure global), identifier les différentes formes d’énergies ainsi que les processus de compensation.

Même si nous lui avons adjoint un copyright, le TEGPOS est bien plus une philosophie, une méthode de travail qu’un label. Si l’approche est cumulable avec les labels, nous prendrons les deux. En revanche, si, ponctuellement, TEGPOS et labels entrent en confrontation, nous privilégierons la philosophie, le bon sens et la raison.

* Ingénieur issu de l’Ecole des Ponts et Chaussées (ENPC), Franck Boutté est fondateur de Franck Boutté consultants. Spécialisée dans la Conception et l’Ingénierie Environnementale, l’agence est composée d’une vingtaine de collaborateurs architectes, ingénieurs et urbanistes. Elle réalise des missions de maîtrise d’oeuvre et d’assistance à maîtrise d’ouvrage dans les domaines de la Haute Qualité Environnementale (HQE) et du Développement Durable, à l’échelle des bâtiments, des quartiers et des opérations d’aménagement.

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