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Louise Vandelac à l’ISE – L’institut qui poursuit l’oeuvre de Pierre Dansereau pourrait bien disparaître…

par CLAUDE LAFLEUR, Le Devoir, 1 octobre 2011

Louise Vandelac, directrice de l’Institut des sciences de l’environnement Photo: Annik MH De Carufel - Le Devoir Source: www.ledevoir.com

Louise Vandelac, directrice de l’Institut des sciences de l’environnement
Photo: Annik MH De Carufel – Le Devoir
Source: www.ledevoir.com

En 1990, l’UQAM a créé l’Institut des sciences de l’environnement qui, à sa façon, prolonge la démarche de Pierre Dansereau. Or, rapporte Louise Vandelac, directrice de l’ISE, alors même qu’on célèbre les 100 ans du vénérable savant, cet institut est menacé de dissolution!

Pierre Dansereau a été très présent lors de la création de l’Institut des sciences de l’environnement, rapporte-t-elle. «Je dirais que son oeuvre et sa façon de penser les questions d’environnement orientent profondément tout le travail que nous faisons», affirme Mme Vandelac.

Depuis 21 ans, ce centre de formation, de recherche et de diffusion de la connaissance a formé plus de 1335 étudiants en maîtrise et au doctorat. «C’est un institut extrêmement dynamique dont la caractéristique même — ce qui nous rapproche de Pierre Dansereau et qui fait que nous sommes un peu ses enfants — c’est que celui-ci a toujours insisté sur la nécessité de décloisonner les connaissances, d’en faire la symbiose, de réconcilier les sciences naturelles et les sciences humaines», évoque la chercheure.

« Un fond de colère… »

Bien qu’elle ne soit pas une intime de M. Dansereau — «Je n’ai pas cet honneur», dit-elle — Louise Vandelac a eu l’occasion de le côtoyer à maintes reprises. «Comme beaucoup de grands humanistes, dit-elle, ce sont à la fois sa perspicacité, sa simplicité et sa capacité à entrer en relation qui le caractérisent. C’est quelqu’un qui est demeuré, au fil des années, extrêmement curieux, extrêmement vif d’esprit, intéressé par le moindre détail, cherchant à comprendre tout le temps, et d’un très grand respect envers ses interlocuteurs.» Comme tout le monde, elle a remarqué le côté rieur, joyeux et bon enfant du personnage et la joie de vivre qu’il dégage. «Et, en même temps, ajoute-t-elle, un fond de colère devant les bêtises de l’époque!»

Elle note, chez le vénérable chercheur, «ce fort accent pour appréhender les questions urgentes de notre époque que sont les grands enjeux écologiques. Toute sa vie, Pierre Dansereau les a abordées selon différentes échelles de temps et d’espace, en intégrant toujours les humains aux analyses qu’il fait des écosystèmes.»

L’enjeu, autant pour Pierre Dansereau que pour l’Institut des sciences de l’environnement, «c’est d’avoir une appréhension globale des questions écologiques — ce qui est le seul moyen pour parvenir à opérer les transformations nécessaires, estime Mme Vandelac, exactement d’ailleurs comme le soulignait déjà Dansereau dans les années 1970!»

Perspective globale

Celui-ci voyait bien l’importance d’aborder toutes les questions selon une perspective globale en mettant les êtres humains au coeur des cycles de vie. «Au fond, il était parfaitement conscient que l’un des enjeux majeurs, c’est le respect des équilibres vitaux à la fois des êtres, des populations et des milieux de vie, ce qui définit la santé et l’environnement, énonce-t-elle. Autrement dit, notre système économique doit être soumis au respect des équilibres des écosystèmes.»

«Je pense, poursuit Mme Vandelac, que l’un des aspects remarquables de la carrière de Dansereau a été cette façon de poser les questions à toutes les échelles, comme il l’a fait par exemple en biogéographie: tous les aspects de l’adaptation des êtres vivants à leur milieu, et qui impose de considérer tout autant leurs origines, leurs migrations, leurs associations, etc.»

«Ce qui caractérise l’oeuvre de M. Dansereau, résume la directrice de l’ISE, c’est le fait que son investigation dépasse celle de l’individu, de l’espèce, de la population — et même celle des systèmes sociaux, dirions-nous en sciences humaines.»

«Pierre Dansereau s’est intéressé aux relations entre les écosystèmes et donc à l’ensemble des populations vivantes et des milieux où elles puisent leur subsistance. Ce travail de synthèse à différentes échelles, c’est sans doute l’un des legs les plus stimulants, les plus importants qu’il nous laisse.»

L’institut démantelé?

«C’est la démarche que nous poursuivons à l’Institut des sciences de l’environnement, enchaîne la directrice. L’ensemble des travaux de recherche qu’on y réalise, justement, visent à appréhender la réalité à travers la complexité.»

Louise Vandelac révèle toutefois qu’«il a été proposé, à la Faculté des sciences de l’UQAM, de s’emparer de nos programmes et de se défaire de l’institut!» Elle ajoute sur un ton ironique: «Nous sommes un institut “parfaitement illégitime”, puisque nous sommes un organisme interfacultaire et interdisciplinaire — autrement dit: qui ne cadre nulle part dans les structures d’une université!»

Normalement, explique-t-elle, les recherches universitaires sont conçues et financées sur la base de disciplines, par exemple: recherches en biologie, en physique, en sociologie. «Or les enjeux entre les êtres humains et l’environnement ne peuvent pas être pensés à travers les prismes d’une, de deux ou de trois disciplines, dit-elle, ils nous obligent à repenser le savoir. Or les dispositifs de recherche et de gestion encadrent les disciplines de telle sorte que tous ceux et celles qui tentent de faire un travail de compréhension des interrelations se retrouvent dans une posture extrêmement difficile.»

Selon Mme Vandelac, la direction actuelle de la Faculté des sciences de l’UQAM «souhaiterait faire main basse sur nos programmes de maîtrise et de doctorat, alors que nous constituons un rare succès. Nous avons en effet la plus forte cohorte aux études avancées et les meilleurs indicateurs de performance!», sans compter que l’institut rapporte des millions de dollars en contrats de recherche.

«Je pense qu’il serait pour le moins paradoxal que, au moment où Pierre Dansereau fête ses 100 ans, on se retrouve dans cette situation, s’exclame-t-elle, le coeur brisé. C’est une absurdité totale!»

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