par SOPHIE CHAPELLE, bastamag.net, 29 juin 2010
À Montréal, les habitants investissent les toits bétonnés pour construire des serres, faire pousser des plantes potagères, tropicales ou médicinales. Une effervescence qui permet de développer des projets sociaux, éducatifs ou scientifiques, et de se réapproprier l’espace urbain. Petite visite guidée dans ce nouveau monde vert.
Douzième étage. Une affiche indique la direction du « projet Greenhouse ». Une volée de marches à gravir et l’on débouche sur un petit paradis vert au milieu de la ville, une serre posée sur les toits de l’université de Concordia à Montréal. Arlène y jardine. Passionnée par ce projet, elle nous promène le long du jardin suspendu, divisé en plusieurs carrés. L’un est réservé aux plantes tropicales, un autre aux plantes aquatiques et à l’écologie forestière. L’espace dans lequel Arlène s’est beaucoup investie ces dernières semaines est quasiment vide. Et pour cause : « Nous avons produit ici 15.000 plants de semis, qui ont été distribués dans plus d’une trentaine de jardins, explique t-elle. Des jardins cultivés par des familles, des personnes âgées, des étudiants, qui durant tout l’été vont en récolter les fruits. »
De la « guerilla gardening » à l’école d’agriculture
Une autre « jardinière urbaine », Laurence Fauteux, est également présente. Après un stage en agriculture urbaine à Cuba, elle a pris conscience à son retour à Montréal des difficultés pour trouver en ville des semis de plantes potagères de bonne qualité. Elle se lance alors dans le projet Vert ta ville. L’idée ? « Avec quelques étudiants, nous nous sommes appuyés sur des professionnels travaillant dans des jardins collectifs autour de Montréal pour réaliser des semis, explique-t-elle. Au programme : les fertilisants naturels, les herbes et préparations médicinales. » La douzaine d’étudiants mobilisés ont remis gratuitement plusieurs milliers de semis aux jardins. « Nous avons veillé à prendre des variétés non hybrides et reproductibles que l’on a achetées à des organismes qui conservent une partie de leurs récoltes pour faire des semences », assure Laurence.
À quelques stations de métro de l’université de Concordia se trouve l’UQAM, l’université du Québec à Montréal. Derrière l’édifice, on découvre la fraîcheur d’un jardin de plantes médicinales, équipé de compost. Sophie Rémy travaille au CRAPAUD, le Collectif de recherche en aménagement paysager et en agriculture urbaine durable. « Il y a trois ans, il y a eu ici une « guérilla gardening » au cours de laquelle une dizaine d’étudiants ont pris des pelles, des graines et les ont plantées. Aujourd’hui, cette initiative s’est transformée en structure autonome. » Les membres du collectif organisent chaque été une école d’agriculture pour les enfants et participent à la réalisation de plusieurs jardins sur les toits. « Les listes d’attentes pour avoir accès à un jardin sont phénoménales, il faut attendre parfois cinq ans, déplore Sophie.
« La Mecque » de l’agriculture urbaine
Les toits ont un formidable potentiel. L’ONG Alternatives l’a bien compris. Cette organisation développe depuis 2003 le projet « Des jardins sur les toits ». En récupérant les espaces inutilisés que sont les toits, les terrasses et les balcons, Alternatives crée de nouveaux espaces verts et productifs afin de contribuer à l’écologie urbaine. « Nous avons aussi développé une méthode culturale hors-sol qui ne donne plus aucune excuse aux gens de ne pas jardiner », s’amuse Gaëlle, salariée de l’ONG. Cette technique, ce sont des bacs à réserve d’eau, mobiles et adaptables. Les gens peuvent fabriquer eux-mêmes leur propre contenant et acquérir ainsi leur autonomie. Universités, résidences ou jardins collectifs participent au projet. « Certains disent que Montréal est la « Mecque » de l’agriculture urbaine », sourit Gaëlle. Pour Luc Rabouin du Centre d’écologie urbaine de Montréal, pas de doute, il y a ici une effervescence d’initiatives en matière d’agriculture urbaine.
Les jardins collectifs, comme les jardins sur les toits, se multiplient depuis quelques années. Ils se distinguent des jardins communautaires – qu’on appelle « jardins partagés ». Ceux-ci sont gérés par la ville de Montréal et découpés en petits lots selon les demandes des habitants. Les jardins collectifs sont initiés par des ONG ou des groupes d’habitants, et sont donc plus difficiles à identifier. « On ne peut pas être au courant de tout ce qui se passe », reconnaît Gaëlle.
Changer le système par les jardins urbains ?
Le Crapaud travaille actuellement sur un répertoire des initiatives d’agriculture urbaine à Montréal mais ne dispose pas encore de chiffres. Pourquoi un tel engouement pour l’agriculture urbaine à Montréal. « C’est une porte d’entrée à une foule de sujets, explique Gaëlle d’Alternatives. Via l’agriculture urbaine, on peut parler de souveraineté alimentaire, d’OGM, de qualité des semis, d’îlots de chaleur. Mais on peut aussi entrer dans des questions sociales, comme l’isolement, l’inactivité chez les jeunes ou le détachement envers l’alimentation ». « Le jardin crée un tissu social, une vie de quartier. Les gens sont moins isolés », poursuit Sophie Rémy. Pour elle, l’agriculture urbaine invite à un changement de système culturel, économique et social.
Quels sont les effets sociaux de ces projets ? Difficile à dire, car améliorer les conditions de vie et multiplier les espaces verts dans un quartier peut faire monter le coût de l’immobilier et pousser à l’exil les moins fortunés. Comment éviter cet écueil ? « Les seules options pour l’instant consistent à maximiser la construction de logements collectifs sous forme de coopératives d’habitations ou de logements publics, afin qu’ils restent en dehors du marché », propose Luc Rabouin. Autre limite : le suivi et la pérennité des projets. La création d’un jardin sur les toits dans un collège du vieux Montréal a suscité beaucoup d’enthousiasme. Mais peu de bénévoles participent à la mise en bac. Et pendant les vacances, les plantes dépérissent, faute d’entretien. Pour Nicolas, militant du Mouvement québécois pour une décroissance conviviale, « c’est la preuve qu’il y a là un vivier d’emplois énormes. Pourquoi ne pas créer des postes de jardiniers urbains ? »
Prochaine étape pour les jardins sur les toits : passer à des projets à plus grande échelle. « Nous tournons notre regard vers des entreprises et institutions qui ont des bâtiments avec une capacité importante, explique Luc Rabouin. Il y a énormément de toits plats et bétonnés à Montréal où l’on pourrait produire des aliments socialement utiles pour des personnes ayant des difficultés d’accès à des légumes de saison. » Un défi social et environnemental qui permettrait de rendre utiles l’ensemble des espaces disponibles.